Jack Bizlall, intellectuel, leader syndical et militant politique mauricien : « J’aurais été très malheureux comme prêtre »

Par Shafick Osman

Pour cette première interview d’Ottawa International, nous avons choisi de nous entretenir avec Jack Bizlall, intellectuel, leader syndical, et militant politique mauricien. Véritable icône de la vie publique à Maurice, Jack Bizlall nous répond sur son passé, sa vie familiale, ses affinités politiques, son parcours syndical, ainsi que sur des sujets plus sensibles comme la religion et Dieu.


Interview réalisée en août 2023 et publiée le 21 avril 2024.
  1. Vous avez souvent parlé de l’absence de votre père quand vous étiez jeune. Racontez-nous cette absence du père et dites-nous pourquoi cette « désobéissance » de la mère…

    Je ne sais comment vous avez appris de mes relations avec mes parents. Mon père a quitté la maison pour habiter Souillac dès son retour de Rodrigues en 1956. J’avais dix ans. Quand il est parti, j’avais six ans. Il a toujours subvenu à nos besoins et il était engagé dans les activités sociales et politiques à travers le Parti Travailliste[1].

    J’ai donc passé mon enfance en toute liberté et cela m’a permis d’être au contrôle de ma vie, et de mes convictions.

    Au fond je n’ai jamais dit non à ma mère. Mais j’ai fait à ma tête et ainsi je n’ai pas été un soumis. La désobéissance, c’est autre chose. C’est faire le contraire de ce que vos parents vous dictent. Étant très soucieuse de ma liberté, ma mère me donnait des conseils. C’est ce que je pratique envers les travailleurs. Je conseille. C’est à eux de décider. Je ne leur dois rien et ils ne me doivent en rien.

    Mon enfance, mon adolescence, ma vie d’époux et de père, ma vie politique, bref, en tout, je conserve ma liberté. Jusqu’ici. Et c’est la seule chose que je possède. 

    2. Comment était votre enfance et votre adolescence? L’industrie sucrière ou le milieu sucrier a donc exercé une influence sur vous tôt dans votre vie?

    Je suis né à Beau Bassin, à la rue Magon de Médine, puis mes parents ont acheté une maison à la rue Gustave Colin, toujours à Beau Bassin. Je vis toujours à Beau Bassin. À Beau Bassin, on ne dépend pas de l’industrie sucrière directement. Le milieu sucrier, je le connais depuis 1976 avec mon engagement à la Sugar Industries Labourers’ Union (SILU) et à l’Union of Artisans of the Sugar Industry (UASI), et actuellement à la Sugar Industry Overseers’ Association (SIOA). Je négocie actuellement chez 13 plantations.

    À Beau Bassin, on côtoie la classe moyenne. Cette classe conjugue sa vie au verbe avoir et au verbe paraitre. Je suis sorti consciemment de cette classe moyenne qui contrôle TOUT à Maurice. Qui nous fait beaucoup de tort à la tête du gouvernement et de nos institutions. Elle se construit un « en soi » et un « pour soi » dévastateurs.

    Le surendettement, l’enrichissement facile, la consommation outrageante, un niveau de vie exigeant, déforment la position de classe des aspirants à constituer une technocratie. En ce qui me concerne, je suis, je vis, je m’engage… donc, je suis libre de mon être. Tout comme quelques agents de cette classe qui sont des révolutionnaires sur le plan de la condition humaine et à l’aise sur le plan de la nature humaine.

    3. Vous vouliez être prêtre mais finalement vous optez pour l’enseignement. Pourquoi ce changement? Et comment s’était formulé ce désir vers la prêtrise?

    Je vois que vous êtes bien informé sur ma personne. J’ai vécu dans un milieu chrétien très croyant mais mes grands-parents du côté de mon père étaient des hindous venant d’Uttar Pradesh, de Maharashtra et du Tamil Nadu.

    À un certain moment, je voulais m’engager et je suis allé voir le Père Michel Boullé pour m’inscrire au séminaire. Il m’avait dit d’attendre septembre et entre temps, de continuer mes études puisque j’avais été admis au Teachers Training College. Entre-temps, j’ai rencontré Marlène au Teachers Training College. L’homme croit être le maître de sa vie et de son choix d’épouse. Faux. Ce sont les femmes qui nous choisissent. Je n’ai rien à me plaindre. J’aurais été très malheureux comme prêtre.

    4. Vous avez dit voici quelque temps que vous étiez athée mais on voit bien que vous étiez très croyant dans votre jeunesse. Comment s’est opéré ce changement plutôt radical?

    En vérité, j’ai perdu la foi depuis l’âge de 27 ans. J’ai vécu juste après, une période de plus de cinq ans qui fut difficile – très difficile. La notion de Dieu nous aide à traverser les moments difficiles et à justifier les moments heureux. Sans Dieu, l’humain se sent abandonné et ainsi perdu dans le cadre de la condition humaine.

    La foi nous permet de considérer des vérités sans aucun besoin de prouver si elles sont vraies ou fausses. Je place donc le croyant et l’athée sur les mêmes pieds. Ce sont des gens de foi. N’ayant aucune foi que Dieu existe on n’existerait pas, je vis ma vie sans soumission, et le monde pour moi n’est pas binaire : Dieu ou Diable. Le Bien ou le Mal, Bon ou Mauvais.

    Je conduis ma vie entre ce qui est raisonnable ou pas, acceptable ou pas, entre ce qui peut être subi ou pas.

    Cela me permet de ne haïr personne et de ne pas avoir à me venger. Je coupe avec tout ce qui est nuisible pour moi. Je ne suis pas dans l’excès, dans l’interdit… Je crois aussi maitriser la liberté de la personne humaine qui est le fondement du libéralisme philosophique qui nous a conduit à la République et qui demain, nous conduira à la société sans classe. Je maitrise la liberté de choisir mes libertés. Donc, très éthique.

    5. Racontez-nous Baie du Cap[2] et votre première expérience d’enseignement dans un milieu rural, faut le dire…

    J’ai été posté en 1968 à l’école St Enfant Jésus, à Rose Hill, puis à l’école du Saint Esprit, à Bel Air, à l’école de St François d’Assise à Baie du Cap, et ensuite l’école d’Olivia RCA. J’ai demandé mon transfert à l’école de St François d’Assise à Baie du Cap. Et puis, à Notre Dame de la Paix, et enfin, à Bon Secours à Port Louis.

    J’ai demandé une mutation à Baie du Cap pour être avec Marlène. Nos deux classes étaient une à côté de l’autre sans partition. Ce furent deux années formidables.

    Le milieu rural a ceci de particulier. Il est plus pragmatique, plus socialisé et surtout beaucoup plus convivial, généreux et surtout attaché à la nature.

    6. Après Baie du Cap, vous basculez dans le milieu urbain et vous y êtes toujours. Comment aviez-vous vécu cela?

    En ville il y a beaucoup trop de compartimentages, de préjugés, de compétitions, d’aspirations vers le haut par une éducation élitiste d’insertion. J’ai fait une publication contre l’éducation d’insertion, intitulée Pour une Éducation d’Assertion.

    Dans les années 70, les enseignants du primaire préféraient de loin la campagne. Seuls ceux qui donnaient des leçons dites particulières étaient intéressés à aller enseigner en ville. Quand je suis arrivé en ville, j’étais en partance… Pas possible d’enseigner en ville.

    7. Vous rencontrez votre épouse, et elle vous pousse dans le monde syndical au début des années 70. Vous n’étiez pas donc intéressé par le syndicalisme jusque-là? Et pourquoi?

    C’est vrai. J’étais casanier. Je suis ébéniste de formation et je travaillais le bois, intéressé à faire les commissions, à lire énormément… Elle était engagée socialement. Quand ma fille Véronique est venue au monde en janvier 1972, elle a insisté que je m’engage syndicalement et socialement, pour la remplacer. Elle fut une des créatrices de Caritas avec le Père Filip Fanchette.

    Au départ, j’ai refusé disant, « je n’ai rien à faire avec ce monde irrationnel des pouvoiristes et des jouisseurs ». Je préfère ne pas dire plus. J’ai utilisé deux qualificatifs dévastateurs.

    J’ai quand même assisté à une assemblée d’instituteurs à l’école Notre Dame de Lourdes. J’ai été élu en mars 1972 comme membre de l’Union of Primary School Teachers (UPST) [52 ans déjà], soit deux mois après, et j’ai poussé le bouchon jusqu’à être élu Président de la Fédération des enseignants catholiques et Public Relations Officer [responsable des relations publiques] à la Fédération des syndicats du service civil (FSSC), créateur de l’Association des consommateurs de l’île Maurice (ACIM), et de plusieurs associations. Pour ensuite démissionner en février 1976, pour m’engager à la General Workers Federation (GWF). Ce fut une période très difficile, révélatrice pour moi et référentielle dans l’espace-temps de ma vie.

    8. Vous avez dit que vous avez quitté l’enseignement en 1976 car vous n’étiez pas d’accord avec le système éducatif mauricien. C’était quoi le problème ou peut-être les problèmes?

    En fait, c’est Bérenger qui me téléphone pour me dire si je peux donner un coup de main à la GWF – je démissionne le lendemain. Ma maîtresse d’école, Sœur Assumpta, refuse ma lettre et va la valider quatre mois après. J’étais déjà parti sans rien dire à Marlène.

    Quand j’ai accepté de démissionner pour vivre avec les salaires de Marlène, j’en avais réellement assez de l’éducation d’insertion. J’ai été un autodidacte depuis l’âge de neuf ans. J’apprenais le soir jusqu’au petit matin surveillant la maison jusqu’à l’arrivée de mes deux grands frères qui étaient des noctambules invétérés. Cela a duré jusqu’à mon départ de la maison en 1969. À 23 ans.

    J’ai toujours porté l’attention au savoir, au savoir-faire et au savoir vivre construisant mon savoir être. Ma méthode était celle du FRAP (faits – rapports – analyse – propositions) pour affirmer mes propos, mes propositions et mon positionnement avec conviction d’où le projet de l’Éducation d’assertion. L’assertion est une méthode de décliner ses propositions avec conviction – c’est ainsi mettre fin à la foi dans votre professeur, dans ce que vous lisez et dans ce que l’on vous dit.

    À la recherche de la maitrise, du matérialisme dialectique, de la causalité, de la logique (déductive et inductive), de la synthèse, de l’alternative, de la philosophie, des religions, des sciences, de l’histoire, de la psychanalyse, de la cosmologie, etc. on parle avec conviction mais en remettant en question, par l’antithèse, ce que l’on avance. Ainsi on progresse sur tous les plans.

    9. Votre père et votre frère étaient des Travaillistes. Le travaillisme doit représenter beaucoup de choses pour le militant que vous êtes devenu…

    Effectivement. La famille était travailliste, mon grand frère surtout. Je l’ai vu se jeter sur son lit et péter une crise épileptique quand il a vu mourir un certain Surath à Quatre Bornes tué par des activistes du PMSD (Parti Mauricien Social Démocrate). Je n’ai jamais soutenu le PMSD. Je ne soutiendrai jamais le PMSD.

    J’ai écrit un texte sur le travaillisme pour le journal Mauritius Times que j’ai publié dans un recueil intitulé, Notre histoire à nous, qui contient un texte intitulé, Le Militantisme et un autre texte intitulé, Le Travaillisme, plus une méthodologie intitulée, Pour mieux comprendre l’histoire de Maurice.

    J’ai dit, le 11 avril 2023, lors la commémoration de la mort de Renganaden Seeneevassen qu’il était le dernier des travaillistes et le premier adepte du militantisme.

    Comme vous le devinez, un jeune de 15 à 25 ans après l’indépendance est animé par le combat pour l’indépendance et ensuite, très en colère avec l’alliance PTM-PMSD poussant à la porte l’IFB (Independent Forward Bloc). Ce fut grave et en même temps fatal historiquement. Bissoondoyal a été un peu ma référence à l’époque. Enfant, j’ai assisté à ses meetings à la rue Magon de Médine qui était mon lieu de jeu. En 1973, c’est Jean Claude de l’Estrac - nous étions les dirigeants de l’ACIM - qui m’invite à une rencontre du MMM (Mouvement Militant Mauricien) chez Bérenger à Quatre Bornes. J’adhère à la cellule de Balfour une semaine après. Je prends beaucoup de temps à prendre une décision. Mais quand je le fais, c’est avec conviction.

    J’ai un souvenir indélébile de ces deux forces politiques. Le PTM a dévié après 1958 pour finir par renvoyer les élections en 1972 et le MMM, à partir de 1976, pour se briser sur les récifs du pouvoir en 1983.

    Je suis resté un adepte du travaillisme créé juste avant l’année 1900 en Angleterre. Il est important de lire le discours de Lénine en 1920 sur l’adhésion du Parti Travailliste à l’International Communiste.

    Le militantisme fut l’apothéose avec des dizaines de révoltes à travers le monde en 1968.

    10. En 1976, vous êtes candidat à la députation avec le Mouvement Militant Mauricien (MMM), et vous êtes élu en tête de liste dans la circonscription no 1 à Port Louis – Grande Rivière Nord-Ouest. Pourquoi le choix du MMM et comment avez-vous adhéré et débuté au sein du parti mauve?

    Je vous ai dit que les jeunes travaillistes se sentirent perdus après l’indépendance – l’élection de Dev Virahsawmy à l’Assemblée nationale en 1970 et le renvoi des élections en 1972, la grève de 1971, et les contestations à travers le monde poussèrent les jeunes à s’adhérer au MMM.

    Avant de faire des études à l’étranger, Paul Bérenger, si je me souviens correctement, avait proposé une alliance du PTM avec le PMSD dans un journal du matin. Quand il a changé le fusil d’épaule et avec son adhésion au Club des Étudiants Militants, avec d’autres jeunes venant des universités d’Europe, ce fut un rassemblement des milliers de jeunes en politique.

    Ce fut une adhésion au MMM, non pas par défaut, mais pour la lutte des classes surtout après la publication du premier programme du MMM.

    11. Pourquoi le choix de la circonscription no 1? C’était votre choix ou un choix imposé par la direction du parti?

    J’ai été mis sur la liste des candidats par la direction du MMM sans mon consentement. J’avais auparavant été choisi par la GWF pour demeurer dans le monde syndical. Cela fut publié dans un journal. Je fus très en colère puisqu’on me faisait changer de parole.

    J’ai donc protesté et on m’a imposé cette décision et j’ai demandé d’être posté dans la circonscription la plus difficile pour le MMM, soit Beau Bassin, dans la circonscription no 20.

    Après une péripétie qui m’a beaucoup affecté et des clashes avec la direction du MMM, il y a eu encore des problèmes. Il y a eu une mutation. Finlay Salesse du no 1 au no 20, et moi du no 20 au no 1. C’est finalement l’Assemblée des délégués de cette circonscription qui a imposé ma candidature au no 1. Je suis le seul candidat à être choisi par l’assemblée des militants. Cela apaisa ma colère.

    Je ne voulais pas être candidat. Je voulais me protéger contre une déviation presque certaine du MMM. De son opportunisme surtout, pour les décisions concernant une grève dans le secteur public et le secteur privé en 1976. Il faudra un jour raconter tout ça. J’ai eu un clash avec Bérenger à l’assemblée de la GWF. On m’avait fait partir pour Rodrigues accompagnés des militants les plus contestataires de l’époque. Cette manipulation pour nous éloigner a ouvert mes yeux sur les tractations de Bérenger.

    12. Quels ont été les temps forts de votre députation? Que retenez-vous de cette tranche de votre vie?

    Ce fut une période terne, stérile, inutile et lourde à porter et pas à reproduire.

    Vous ne pouvez savoir combien la vie d’un député de l’opposition est inutile. On dit que l’Assemblée nationale est l’instance qui décide au nom ou à la place des électeurs. FAUX.

    La Constitution de Maurice, à l’époque, était celle d’une monarchie parlementaire. C’est l’exécutif qui décide de tout SANS la tradition du parlementarisme anglais qui est PARTICULIÈRE.

    De 1968 à 1992, la Section 58 de notre Constitution dit que : The Executive authority of Mauritius is vested in Her Majesty[3]. Si un révolutionnaire peut accepter cette disposition, il doit se remettre en question. On est passé à la République pour remplacer le mot « Her Majesty » [Sa Majesté] pour « the President » [le Président].

    Si demain, nous avons quelqu’un qui est à la fois Président et leader de son parti au pouvoir, nous passerons à la République présidentielle. Il n’a pas lieu de modifier la Constitution. Nous sommes politiquement sous la menace d’une république présidentielle.

    C’est pourquoi j’ai combattu le projet MMM–PTM de 2014.

    D’autre part, quand nous avons des membres d’une famille (Jugnauth) qui se succèdent de père en fils au poste de Premier ministre et qui dicte sa loi au Président de la République et au Speaker [Président] de l’Assemblée nationale, nous retournons à la monarchie parlementaire d’avant 1992, et nous aurons à subir des lois liberticides et la répression jusqu’à l’élimination des opposants et des rebelles du parti au pouvoir, le MSM, qui est la propriété de cette famille. Voilà notre drame. Il faudra en reparler.

    Ces craintes vont me pousser à écrire : Nouvelle Constitution et Deuxième République (2012), Le système électoral – critiques et contre-propositions du Mouvement Premier mai (2018), Nos erreurs constitutionnelles (2023), C’est demain 2033 (2018), Pour un fond commun de civilisation et pour une nouvelle Constitution – Appel (2021).

    13. Vous quittez le MMM peu après et vous envisagez de démissionner de votre poste de député mais après conseils d’Anerood Jugnauth, le leader de l’opposition, vous demeurez à votre poste mais n’encaissez plus la rémunération… Racontez-nous cet épisode assez insolite.

    Cela s’est passé autrement. En effet, j’étais dégouté et je dis à un journaliste, sans au préalable en parler à mes amis de l’aile gauche et à mon épouse que je démissionnais. C’est publié dans l’après-midi, et j’entre en contact avec Jugnauth pour lui informer de mon départ et de prendre des dispositions pour me remplacer par Selvon ou par De Comarmond.

    Cela ne peut se faire et j’ai donc informé Jugnauth que je vais siéger en indépendant, refuser mes allocations de député et voter avec le MMM.

    Ce fut une décision assez facile puisque mes allocations étaient grandement distribuées à quatre familles et servaient aux dépenses de la circonscription no 1 dont l’emploi d’une secrétaire de circonscription.

    J’avais quitté la maison de mes parents à Beau Bassin pour la circonscription no 1, tout près de la GWF comme promis aux électeurs… Je suis donc retourné à Beau Bassin. La liberté retrouvée.

    14. Mais pourquoi avoir quitté le MMM si tôt? Il n’y avait pas moyen de se positionner bien plus à gauche au sein du parti, voire à l’extrême-gauche?

    Il y a eu une accumulation des choses qui m’ont poussé à partir – entre autres, une conversation avec Bérenger sur une plage de l’ouest sur l’impossibilité pour le MMM d’appliquer son programme. J’ai trouvé son attitude inacceptable et le lendemain, j’ai pris mes distances de lui.

    Le comportement de Jugnauth à une assemblée des militants après un discours de Sylvio Michel. Je lui ai demandé si nous étions en assemblée de l’Organisation Fraternelle ou du MMM. Je me suis opposé au misérabilisme de Michel. Jugnauth m’avait répondu : « Koman to krwar nu pu gayn élections [Comment crois-tu qu’on gagnera les élections?] »; les séquelles de la grève de 1979 – un jour, je raconterai toute l’histoire de cette grève; les élections du Comité central de 1978 et de 1979; le comportement honteux des Moorba, Ramphul, Jandoosing et Augustave, entre autres; le comportement de la direction contre l’aile gauche; les révélations de Neil Komul concernant les tractations du MMM juste après les élections de 1976 autant qu’avec le PMSD qu’avec le PTM. Je n’en pouvais plus.

    Quand j’ai écrit à l’Attorney General pour lui dire de ne plus me verser mon chèque, il me l’a retourné… J’ai coupé le chèque en deux et je lui ai retourné la deuxième moitié. J’ai conservé l’autre moitié. Ce fut un des tests importants de la liberté de ma personne.

    J’ai aidé à créer la Federation of Progressive Unions (FPU) avec des amis, lancé un journal Nouvo lizié et créé la Force Militante Progressiste, puis le Parti Morisien Travayer (PMT) avec l’Organisatyon Militan Travayer-Front National Anti Somaz (OMT-FNAS[4]), et ensuite, le Mouvement Premier mai. J’ai aussi aidé à créer plusieurs organisations. Plus de quinze après mon départ.

    15. Que faites-vous après la victoire historique 60-0 de l’alliance MMM-PSM? Où étiez-vous sur l’échiquier politique?

    En 1982, je suis très concerné par les élections. On a ressenti une vague politique monter et la partie la plus active de la population constituée de travailleurs. 63 % des électeurs soutiennent le MMM et montrent ainsi la voie à une révolution politique. Rien ne sera comme avant.

    Je vais être actif, après 1980, sur le plan syndical aidant la FPU, la GWF et la Fédération des Travailleurs Unis (FTU), entre autres. Et je souhaite des changements sur le plan des libertés, de l’autogestion, du niveau de vie… Bref, je suis pour un mouvement vers le haut du fond commun de civilisation – je vais aider à construire trois entreprises autogérées (Litra, La Commune, Flambois) – puis Lintrabis, et je vais apprendre la gestion des entreprises capitalistes en remplaçant un Receiver Manager [séquestre-gérant] à l’Imprimerie Henry Ltd – on va s’organiser pour occuper des usines, et principalement de Retreaders.

    J’ai essayé d’empêcher la cassure du MMM à travers des conversations avec Madun Dulloo, mais Kasenally au sein du MMM, et Lutchmeenarraidoo, de l’autre côté, vont pousser à la cassure sans oublier le rôle de Boodhoo.

    Au départ, le recul n’était pas évident avec l’intervention en faveur de Jugnauth des éléments du Mouvement Militant Mauricien Socialiste Progressiste (MMMSP) mais Ramgoolam va tout faire pour casser le MMM, et le PTM et le PMSD vont jouer leur rôle dégueulasse.

    Quand Bérenger quitte le gouvernement, il me téléphone tôt le matin et me dit qu’il va à la GWF. Je lui dis, « nou va zwenn lor koltar [Nous allons nous croiser sur la route] ». Des contacts sont pris qui ont débouché sur mon soutien critique au MMM en 1983 et 1987, le rassemblement unitaire MMM–OMT KNAS–GWF–FPU lors du 50e rassemblement du 1er mai en 1988. Je me distance du MMM une deuxième fois à partir des élections partielles de remplacement de Collendavelloo en 1989 pour ses alliances dégradantes. Curé a battu Collendavelloo par 351 votes.

    Le 60–0 fut une révolution politique et un espoir pour la population, pour moi comme tous les militants de l’époque.

    16. Vous vous engagez à fond sur le plan syndical et on vous retrouve bien plus tard sur la scène électorale, mais avec plusieurs défaites successives. Pourquoi êtes-vous retourné dans le processus électoral en 1991 ou plutôt qu’est-ce qui vous a poussé à être candidat à ces élections générales mais aussi aux partielles de 1992, 1995, et de 2017?

    Un homme ou une femme de gauche ne peut éviter de confronter les enjeux électoraux. D’ailleurs, il faut démontrer que la pratique des élections ne sera ni abolie ni marginalisée.

    On vise quoi? Ce que l’on appelle la cassure de classe. Dégager un pôle d’intérêt politique qui permet aux gens à ne pas s’abstenir et encore moins de voter les partis politiques de droite.

    Je n’ai jamais cru ni désiré être élu. J’ai été plus loin, j’ai rédigé de nombreux textes de réflexion et de positionnement, engagé dans la lutte syndicale qui est un moyen d’assurer la lutte des classes sans marginaliser le combat des petits planteurs, des pêcheurs, sans oublier les catégories sociales et ainsi mener un combat avec et pour les femmes, avec et pour les gens handicapés, les personnes âgées, etc.

    Dans ce contexte, j’aide à construire plusieurs organisations sans les maintenir sous un contrôle sectaire et bureaucratique.

    Le rassemblement de tous les syndicats et les partis de gauche le 1er mai à Beau Bassin à partir de 2009 - un jour sans doute quelqu’un s’attardera à faire un bilan de ce qui a été fait. Et ce n’est pas terminé. Mon objectif est de faire progresser vers le haut de fond commun de civilisation, de créer des structures de nature proto-alternative dans toutes les organisations où je milite.

    17. Vous avez de meilleurs suffrages aux élections générales de 2014 et à la partielle de 2017, soit une moyenne de 11 % dans chacune de ces élections, comparées aux élections précédentes tout en faisant abstraction de 1976. Comment expliquez-vous cela? Votre popularité est-elle en hausse, par exemple?

    Les élections dans un cadre d’une monarchie parlementaire et le danger de voir s’installer une république présidentielle sont pénibles. Très pénibles.

    S’il est vrai que j’ai « sauvé ma caution » de 10 % lors de mes dernières participations aux élections (dont une partielle à Quatre Bornes), j’ai un souvenir horrible des élections de 1995 de remplacement à Rose Hill, et avec Lindsay Collen comme colistière.

    Nous sommes dans la cour de l’école de Notre Dame des Victoires [à Rose Hill] et nous sommes humiliés. Après le déroulement des votes, je veux quitter la cour de l’école et je ne peux pas. La foule est à la porte et jubile, elle est même agressive.

    Je regarde au-dessus du mur et je vois un travailleur du CEB, sur les épaules de ses amis me regardant avec un regard dubitatif et la foule s’écarte pour laisser passer un dirigeant du PMSD.

    C’est la mère de Bérenger qui vient me voir et qui me dit : « Je vous comprends. Je vous admire. Tenez bon. Vous êtes un homme admirable. » C’est aussi Malherbe qui vient me voir pour se solidariser et qui me dit : « Je vous admire. Vous méritez mieux. »

    Je ne sais quoi leur dire. Je suis un révolutionnaire. J’ai presque honte.

    Par amitié, c’est Rajesh Bhagwan qui me dit : « Viens, je vais t’accompagner. Passons par la porte de derrière. » Je l’accompagne et j’ai pu partir pour chez moi humilié…

    Ne croyez pas qu’il soit chose facile de participer à des élections. Il faut un projet politique, nécessaire acceptable et réalisable. Mais il faut aussi des moyens et un encadrement.

    En 1976, Jérôme Boulle, Rajen Dayalah, et moi n’avions RIEN. Une affiche payée par le MMM et c’est tout.

    Ram Pyndiah avait offert une voiture aux candidats. Lors d’une réunion chez lui (tous les candidats étaient là), il insinue qu’il existe des candidats qui avaient des moyens et qui néanmoins comptaient sur son aide. Je suis outré et je quitte la réunion, et je dis à Gerard Nina de laver la voiture et de la rendre à Pyndiah. Ce qui fut fait.

    Il me fait appeler pour exprimer ses regrets et me dit : « Ce n’était pas adressé à toi mais à Jugnauth. » En plus, il ajouta qu’il a fait imprimer des tricots que pour sa circonscription.

    En 1976, nous sortons victorieux en battant les Boolell, Panglose, Lim Fat, Ah Chuen, Ollivry, Offman, et aussi mon ami Laridon. Le jour des résultats, j’étais à dormir chez Hervé Masson junior, fatigué après les visites aux centres de votes et une pêche de crabes sur les plages de Flic en Flac. L’après-midi, il me réveille pour me dire : « Dépêche-toi, tu es élu. »

    Je vais au centre de dépouillement à Cassis et on me donne la parole comme le premier élu. Je regarde la foule et il y avait des partisans du PTM et du PMSD. Je dis aux militants : « Ce n’est pas notre place ici. Allons à la cour Chazal. » C’est là-bas que j’ai exprimé le souhait que les choses changent.

    À chaque fois après, j’ai été heureux de n’avoir pas été élu. C’est encore ma position aujourd’hui.

    18. Sur le plan syndical, vous avez passé la main à Ivor Tan Yan depuis quelques années, semble-t-il…

    Je comptais sur Gopaulen Parapen. Il est allé étudier en Angleterre et il s’est marié à une Pérouvienne, et s’est installé au Pérou. Ensuite, ce furent Jane Ragoo et Reaz Chuttoo. Je peux citer les noms de Raj Ramlagun et Ivor Tan Yan. Tous sont arrivés et sont partis d’eux-mêmes pour des raisons différentes, quelques fois en contradiction avec les pratiques et la déontologie de la FPU. Depuis le départ de Ivor Tan Yan, cette déontologie a été publiée.

    Ivor Tan Yan n’est plus à la FPU depuis le 1er août 2020. Il a ouvert, je crois, une agence syndicale. Il suit son chemin et il est absolument libre de le faire. À la FPU, personne n’a été expulsé… On vient et on va et on se retire… pour parodier une chanson de Gainsbourg.

    19. Vous avez été de tous les combats postindépendance ou presque. Comment expliquez-vous cet engouement et surtout d’où obtenez-vous cette énergie quasi-permanente pour être au front dans tous les instants?

    Il y a trois choses que les gens ne savent pas.

    Je n’aurais jamais pu m’engager sans la prise en charge de la famille par Marlène – c’est elle qui a assumé l’achat de notre maison de la MHC à Vuillemin, Beau Bassin, et qui a fourni la nourriture, et qui s’est occupée des enfants. JAMAIS elle ne m’a fait des reproches. Ni mes enfants non plus. Ainsi les travailleurs ne me doivent rien – mais plutôt à Marlène.

    Il faut du temps libre et un engagement pour développer ses quatre savoirs. Surtout son savoir-être. J’ai pu ainsi assumer ma liberté, mon plaisir d’écrire – j’ai fait beaucoup de publications dont les textes suivants : (1) Une auto-initiation à la philosophie et à la conscience, (2) La Constitution, (3) Le programme de la FPU, (4) La déontologie de la FPU, (5) Questions pour un changement, (6) Toi et Moi, (7) L’Éducation d’assertion, (8) Les statuts du Mouvement, (9) Prélude à la publication d’un programme Politique, (10) Une auto-initiation au réel de la vie, (11) L’Être et l’Espace-temps, (12) C’est demain 2033, (13) Pour un fond commun de Civilisation, etc.

    J’ai appris à maitriser ma pensée.

    J’ai fait le tour de TOUS les secteurs du pays : syndicaliste dans la fonction publique, les corporations d’État, les administrations régionales, les compagnies d’État, les secteurs agricoles et industriels, l’hôtellerie. J’ai eu à militer dans les milieux des pêcheurs, des agriculteurs, du secteur informel, j’ai participé à faire progresser des lois…

    J’ai visité des dizaines de fois Rodrigues depuis 1974, plusieurs fois Agaléga, et presque toutes les régions du pays. Je connais la République de Maurice très bien, voire trop bien. Sans oublier que j’ai géré quatre entreprises. J’ai même agi comme consultant sur plusieurs plans. J’ai été élu membre de l’Assemblée nationale, conseiller à la ville de Beau Bassin-Rose Hill. La liste est trop longue.

    Le possible, la diversité, les rencontres, les cultures, le social, l’économie bref TOUT… ont créé cet engouement.

    Je vais vous dire une chose. Je n’ai JAMAIS contacté qui que ce soit pour aider. Mais je n’ai JAMAIS abandonné des demandeurs d’aide. J’assume un service gratuit à la FPU pour différentes demandes. On ne tire pas de bénéfices, des difficultés ou des malheurs des autres.

    Je suis motivé par deux choses : la liberté de ma personne et que je ne dois RIEN à personne et personne ne me doit RIEN.

    « Désormais, il ne nous intéresse plus de savoir ce que des individus ont fait. Oublions qui sont les producteurs de l’histoire mais ceux qui sont les produits de l’histoire. »

    C’est l’histoire de ce qui sera, qui doit être notre histoire. Trouvons la force de continuer à lutter par la lutte des classes. Pas la guerre des classes et encore moins « la lutte des races » qui sont des aberrations.

    Nous avons à quitter la mécanique de l’histoire pour la conscience de l’histoire comme le dit implicitement la pensée marxienne.

    Militons pour l’individualité (le pour soi) à la place de l’individualisme (le que pour soi) – quittons la voie du collectivisme (une aberration et une impossibilité) pour le communisme qui doit être compris comme une voie pour le bien commun et l’organisation commune et ainsi la reconnaissance des milliers de collectifs d’humains dans leurs différences indélébiles et leurs décisions respectives de se reconnaitre dans le vivre ensemble sans aucune hégémonie économique, éthique, sociale ou religieuse.

    Pour moi, c’est possible.

    20. Sur le plan politico-financier, vous avez fait exploser un volcan en 2001 avec l’affaire dite de la caisse noire d’Air Mauritius. Si Vijay Poonoosamy n’était pas le directeur-général (DG), l’affaire aurait-elle éclaté? Et comment expliquez-vous que même le MMM ait été mêlé à ce scandale?

    Au fait, c’est Vijay Poonoosamy qui déclenche ce scandale. Tout a été rapporté à une journaliste de Week-End. Rien n’a été publié et ce sont Mike Seetaramadoo et Clyve Bastien (décédé aujourd’hui) qui me contactent pour ce dossier. D’ailleurs, ces deux derniers ont été licenciés plus tard.

    Ce scandale est monumental. Beaucoup de politiciens et de partis politiques ont bénéficié consciemment ou inconsciemment de cette caisse noire. Tout n’a pas été dit et plusieurs responsables ont été dénoncés. Certains sont morts.

    J’ai conservé tous les documents et développé un système d’enquête qui m’a permis d’accrocher d’autres personnes et d’autres institutions – ces personnes sont : un ancien directeur de l’ICAC, un ancien Manager du CEB, deux anciens dirigeants politiques.

    J’ai été poursuivi maintes fois pour mes responsabilités comme directeur d’un journal et comme syndicaliste – même actuellement, j’ai des procès, tenez-vous bien de 300m MUR. Pravind Jugnauth a aussi logé un procès contre moi, ainsi que Patrick Assirvaden.

    Mais j’ai toujours agi dans l’intérêt commun et jamais pour nuire la personne - des individus et agissant au nom d’institution. JAMAIS.

    Il y a des noms plus importants que ça qui n’ont pas été rendus public.

    21. Vous avez été actif il y a quelques années pour la mise en place d’un Land Tribunal [Tribunal des Terres] ou quelque chose de similaire pour les victimes de dépossession de terres à Maurice. Vous aviez eu une garantie du gouvernement que cela sera chose faite, et ensuite vous vous être pris au chef juge de la Cour Suprême d’alors que vous aviez accusé d’inaction. Que s’est-il passé finalement? Ce combat devrait-il chambouler la question délicate de possession des terres à l’île Maurice particulièrement?

    La question de la possession des terres doit être une priorité de tout gouvernement qui se respecte. On a point besoin d’être socialiste pour dégager une politique de rétrocession des terres accaparées par plusieurs familles et compagnies. Le cerf importé par les Hollandais a été un moyen de cet accaparement dans la construction de chassées.

    Une révolution agraire est sans doute nécessaire dans le cadre de l’autosuffisance alimentaire (surtout l’agro-industrie) mais aussi existentielle par rapport à une juste répartition de nos ressources en terres et en eau pour satisfaire notre sécurité existentielle.

    La loi de la prescription, du métayage, de la procuration, d’assimilation économique des terres d’autrui et de l’État a été remise en question à la suite de la grève d’Harmon. Comme représentant du gréviste, j’ai négocié avec le gouvernement pour avoir deux choses : (1) la création d’un Tribunal des terres et (2) un soutien de 50m MUR pour aider sur le plan de la recherche et juridique, les victimes de l’appropriation illégales de leurs terres.

    Il y a cinq groupes distincts. Le problème aujourd’hui se trouve être les contradictions entre les héritiers. Je suis en attente de la création d’un comité arbitral pour départager les biens récupérés. Croyez-moi c’est un vrai casse-tête.

    Par ailleurs, en Angleterre, la pratique de l’Equity Law est beaucoup servi à protéger les victimes MÊME si la loi, la common law, dit le contraire. On fait appel au discernement personnel du juge.

    Ici on dit que la Cour Suprême peut juridiquement le faire. Mais le juge ne peut agir s’il y a une loi qui régit la chose à juger. CONTRAIREMENT à la pratique anglaise.

    Les tenants du pouvoir économique ont boulonné les lois justifiant une appropriation par prescription. Cela me pousse à dire que l’Equity Law doit être pratiquée avec la précédence de cette loi sur la common law.

    22. Vous avez été très vocal contre le Premier ministre indien Narendra Modi et sur les ingérences de l’Inde dans les affaires mauriciennes. Ne pensez-vous pas que l’Inde a de tout temps été très proche du pouvoir politique postindépendance à Maurice, et qu’aucun gouvernement mauricien ne peut réellement gouverner sans avoir l’Inde à ses côtés, pour ne pas dire en son sein?

    Voyons une interrogation de ma part. Nos ancêtres sont venus de l’Inde AVANT l’indépendance. Ils sont donc TOUS des indo-mauriciens. Cela n’a rien à voir avec l’État indien actuel. RIEN.

    L’Inde d’avant avril 1947 était la Grande Péninsule et nos ancêtres sont venus des régions occupées par le Pakistan et le Bangladesh.

    Par ailleurs, il faut bien comprendre le rôle de la RSS (la Rashtriya Suvayamsevak Sangh fondée en 1925) qui fut un parti politique nationaliste et paramilitaire. La BJP (Bharatiya Janata Party, créé en 1980) est la branche politique de ce parti. Rêvant d’une nation hindoue et surtout « castéiste ». Effaçant l’histoire de l’Inde et transformant l’hindouisme (spiritualité et philosophie) en Hindutva qui est une idéologie reposant sur la culture de la « race » hindoue. Il y a là une opposition flagrante qui est porteuse d’une politique eugénique, assimilatrice, ou tout au moins intégrationniste à l’Hindutva.

    23. Sur la question d’Agaléga, quels sont vos rapports avec les Agaléennes et Agaléens, et comment voient-elles et voient-ils la mise en place d’installations militaires indiennes sur leur île?

    C’est le Père Labour qui me téléphone à 5 heures du matin pour me dire : « J’ai un problème à régler à Agaléga. Viens avec moi m’aider. C’est dans ma prière que ton nom m’est venu en tête. » Je lui ai dit, « pas possible. Je ne crois pas que Dieu existe. S’il existait, il ne pourrait certainement pas me choisir. »

    Donc on va à Agaléga et en quatre visites, on a tout changé dans les rapports entre les travailleurs mauriciens avec des contrats signés à Maurice et l’Outer Islands Development Corporation (OIDC). Je compte y retourner cette année [2023]. J’ai fait une publication : Agalega (2006).

    Agaléga est l’endroit le plus socialisé dans la République de Maurice. Endroit extraordinaire.

    L’Inde et Maurice ont signé un accord secret. Cela a influencé les rapports des forces politiques dans l’océan Indien. Toute guerre entre le Pakistan et l’Inde se jouera dans l’océan Indien et PAS sur le continent.

    Mais il n’y a pas que ces deux îles, il y a l’archipel des Chagos. Nous commettons une erreur grave pour laisser notre pays à la merci des États-Unis et de l’Inde. Nous commettons une erreur irréparable si on nous retourne cet archipel SANS le démantèlement de la base de Diégo Garcia. Toute guerre impliquant les États-Unis ou l’Inde contre d’autres pays nous ferait un pays belligérant.

    Mais il y a autres choses : le stock de nodules métalliques et les ressources pétrolières et de gaz et ainsi de charbon dans nos eaux. Sans oublier les ressources autour de Tromelin.

    Il faudra demander à Ramgoolam quelles ont été les propositions pour l’exploitation du pétrole par l’Inde dans nos eaux territoriales. Ou encore des résultats des recherches de Texaco.

    Pour retourner à Agaléga, deux accords collectifs et un arbitrage ont fait que ses habitants jouissent des salaires du Pay Research Bureau (PRB), le travail pour TOUS et par notre politique à travers l’OIDC, l’eau gratuite, l’électricité à raison de 150 MUR par propriétaire de maison. On a distribué les maisons qui sont achetables à raison de 1 000 MUR par an pendant 20 ans, et le transport gratuit. Il existe deux boutiques de l’OIDC dont les produits se vendent au prix des fournisseurs. Hervé Aimée [ex-ministre] a joué un rôle prépondérant dans ce changement.

    Mais tout cela risque de changer. L’argent n’était pas utilisé dans le passé. Depuis son utilisation, les rapports ont changé. Mais il n’y a pas d’activités commerciales et de loisir et la paix règne sur ce pays au point que les policiers n’ont presque rien à faire.

    24. Vous êtes un amoureux de Rodrigues si l’on peut s’exprimer ainsi. Quel regard avez-vous sur l’île vingt ans après son autonomie? Y-a-t-il une chance que la fibre indépendantiste soit majoritaire un jour à Rodrigues?

    Oui, j’aime Rodrigues pour sa nature, sa population et les rapports sociaux qui existent. Rodrigues a une avance sur nous. Ce pays a un peuple et une culture qui unissent les Rodriguais et les Rodriguaises.

    Le plus important, la population rodriguaise, bénéficie du capitalisme dominant à Maurice sans en subir les conséquences. Agaléga aussi. Mais les Rodriguais vivant de moins en moins à Rodrigues maintiennent des rapports non capitalistiques entre eux. C’est fantastique.

    J’ai suivi sa voie vers l’indépendance depuis 1974 et j’ai assisté à une rencontre à Port Mathurin qui déboucha après à la création de l’Organisation du Peuple Rodriguais (OPR). J’ai en souvenir un homme qui a œuvré dans cette direction, Ben Gontran, suivi par quelqu’un qui est toujours actif à Rodrigues en la personne d’Alain Tolbize. Je peux citer plusieurs noms des gens que je connais personnellement.

    Il existe deux courants indépendantistes. Un premier mettant l’économie au centre du social. C’est le courant actuellement qui se bat pour la gratuité de l’eau. Représenté par le Mouvement Indépendantiste Rodriguais [MIR] qui affirme que Maurice, comme le dit Jocelyn Louis, « agit comme un colon envers des colonisés ». C’est aussi un combat politique pour l’identité du Rodriguais.

    Il existe un deuxième courant, celui de Johnson Roussety, qui propose le développement par la voie de la braderie capitalistique de ses terres, mers et population. J’ai fait une publication intitulée, Johnson Roussety ou l’Arnaqueur en 2012, adressée aux Rodriguais pour un discernement politique.

    J’ai aussi souhaité dans plusieurs publications que Rodrigues milite pour son indépendance par l’adoption d’une nouvelle constitution reconnaissant son identité et sa liberté en introduisant le concept de l’autodétermination…

    Il faut aussi prendre connaissance qu’il existe beaucoup plus de Rodriguais à Maurice qu’à Rodrigues et que ces deux groupes n’ont pas la même culture. Celle de Maurice a été assimilée dans la société mauricienne avec ses tares et ses déformations.

    La fibre indépendantiste est déjà majoritaire à Rodrigues mais les Rodriguais ont peur de l’abandon par Maurice. Il faudra développer deux concepts : l’indépendance par la voie de l’économie et de l’écologie au centre du social. Je peux démontrer que cette voie est nécessaire, acceptable et réalisable. Il faut seulement la pratique de la Restitution. Une publication, La Restitution, sera publiée.

    25. Il y a une dizaine d’années, vous donniez l’impression de vouloir rapprocher le travaillisme d’antan avec le militantisme d’antan pour former une nouvelle force à gauche. L’idée est-elle dépassée de nos jours?

    Une alliance entre le travaillisme et le militantisme est souhaitable. Ce sont ces deux forces idéologiques et politiques qui ont changé notre pays. Il n’y a pas de doute et je défie quiconque qui dirait le contraire. Je ne parle pas ici d’alliance PTM-MMM et encore moins associé au PMSD.

    Il faut savoir si le PTM et le MMM sont encore porteurs de cette idéologie, il faudra réactualiser ces deux moteurs de notre histoire en faisant un procès au PTM depuis 1958 et celui du MMM depuis 1976.

    Je constate depuis peu une alliance entre le PTM et le MMM en association avec le PMSD [ndlr : le PMSD a quitté l’entente PTM-MMM le 14 avril 2024]. Le PMSD est ainsi un premier obstacle. Si le PMSD n’est plus ce parti extrême-droite et populiste du temps de Gaëtan Duval, il est avec Xavier Duval, un parti qui prône le libéralisme économique opportuniste.

    En tant que Président de l’Observatoire de la démocratie, j’adresserai une lettre à Ramgoolam, Bérenger et Duval[5] leur proposant de passer à une nouvelle Constitution... J’expliquerai pourquoi et je dénoncerai toute tentative de leur part de revenir à la conspiration de 2014, d’une République présidentielle ou semi présidentielle.

    Les électeurs mauriciens se trouveront aux prochaines élections devant un choix entre un MSM recomposant ses alliances avec des autres soumis à la famille Jugnauth, et un bloc PTM–MMM–PMSD[6] qui peut explorer dans le cadre du partage du pouvoir au lieu de l’avancement de notre République et enfin, le rassemblement de forces extra parlementaires disparates, populistes et opportunistes. Certains vont rejoindre le MSM ou des partis constituant « embryonnairement » une politique d’alternance.

    Il y a une solution : prôner l’abstention active en démontrant ce que ces forces sont réellement et les dangers qu’elles représentent.

    26. Et le capitalisme est-il indéracinable dans le monde d’aujourd’hui ou existe-t-il encore de systèmes alternatifs crédibles et durables? Si oui, ce serait lesquels?

    Actuellement, le capitalisme occupe tout le terrain – idéologiquement, au centre de l’infrastructure économique quoi que discordante sur le plan de la superstructure politique.

    À moins que l’on soit un inculte sur le plan du savoir du mode de production capitaliste, il faut repartir à partir de la réflexion de Francis Fukuyama qui avait prédit « la fin de l’histoire », il faut lire La Fin de l’histoire et le Dernier Homme de Fukuyama (par « l’incontournabilité » du capitalisme à partir de 1991). Ce fut le livre de chevet d’Anerood Jugnauth.

    Incontournable le capitalisme l’est. Puisque le mode de production dans les anciens pays dits communistes (44 en tout), fut du capitalisme totalitaire sans aucun apport du libéralisme philosophique.

    Il suffit d’apprendre ce qui se passe au niveau de la classe des travailleurs et des individus sur le plan de la liberté dans ces pays pour comprendre la guerre de l’Ukraine et l’expansion du BRICS (2011) depuis cette année. On vise une devise et un mode d’échange qui ne justifie plus le dollar [étasunien]. La livre sterling est déjà morte. L’euro n’est pas parvenu à s’imposer en Europe après le Brexit, par 51,89 % du vote des Britanniques.

    Je le dis et le redis, nous sommes confrontés à cinq choses : (1) l’étatisme issu du légisme; (2) le retour à l’impérialisme russe, chinois, et indien. Analysons la présence de ces trois pays en Afrique sur les plans économiques et militaires, chacun à son pied à terre et sa stratégie militaire. Pour la Russie, c’est Wagner. Pour l’Inde, une base d’approvisionnement à Agaléga (entre autres) avec investissement dans le port (pour les navires) et l’aéroport (pour le changement du personnel militaire). La Chine, elle, achète des terres et monopolise le contrôle sur la communication; (3) à la pratique du boycott, fermetures des frontières pour la circulation des marchandises et le mouvement des travailleurs sur contrat (nouvelle forme de « l’engagisme »), (4) des guerres économiques qui vont être réglées par une entente entre les deux blocs capitalistes, et (5) la pratique des lois liberticides et du fascisme. Ce dernier est un moyen de sauver et de protéger le capitalisme avec son lot de racisme, de gouvernement à nature monarchique, autocratique, bureaucratique et à partis uniques.

    Le drame dans tout ça?... C’est la fin de l’humanité (Fukuyama parle de la fin de l’homme). J’y ajoute la distorsion des concepts comme l’humain et l’humanisme et la pratique de l’eugénisme déjà en cours. C’est-à-dire l’amélioration du sort d’une partie de l’humanité. En corolaire, l’élimination physique de l’autre considéré comme constitué de Sous-Hommes.

    Une masse de gens vont être éliminés : les exclus de la désocialisation du travail, les peuples affectés par des catastrophes naturels à la suite du boursillement de nos écosystèmes par la pratique de la « création destructrice » et du chamboulement de la nature sur le plan mondial.

    27. Dans un commentaire sur Facebook il y a quelque temps, vous disiez que le Prophète Mahommed (paix soit sur lui) était un des plus progressistes à l’égard des femmes. Pouvez-vous nous expliquer comment?

    Je lis tout sur le plan de la nature humaine et de la condition humaine. Surtout ce que dit l’hindouisme, le bouddhisme, le christianisme, l’islam, et le judaïsme, entre autres. Je suis aussi attaché à l’animisme qui est toujours en cours chez les peuples dits primitifs.

    Je retiens tout ce qui est intéressant des mythologies. Au fond, je pars à partir des mythologies (création de l’humanité, de l’homme, de Dieu, etc.) pour m’attarder aux réponses que les humains se donnent comme explication de l’existant et du surnaturel.

    On trouve ainsi les écrits avec Lilith, la féministe de la mythologie juive, Draupadi du Mahabharata… Il faut se rendre compte que les sociétés initiales étaient matriarcales et cela nous a permis de construire nos sociétés avant la révolution néolithique.

    En Arabie Saoudite, après 622, il y a eu un changement radical pour l’avancée des femmes en termes de lois coraniques. Aucune religion universelle (qui fait abstraction des considérations ethniques et sociales) n’a autant fait pour d’abord protéger la femme par ses règles diverses, l’intégrer dans la famille et la société, et reconnaitre ses libertés, ses différences et ses besoins matériels, émotionnels et sexuels.

    Ce qui se passe avec l’islamisme est honteux et anti islamique. Je prends, en exemple, la burqa qui est une protection de la femme contre les regards concupiscents des hommes en un habit pour maintenir la femme dans un statut de propriété de son homme ou de son père ou de son frère. Pire d’utiliser la femme pour maintenir l’expansion de l’islam par la différentiation vestimentaire.

    Quand il s’agit de la règle qu’un homme a l’obligation de faire jouir sa femme, cela est occulté. Les islamistes ont transformé des espaces de liberté en prison pour leurs esclaves. J’ai écrit un texte intitulé La femme et l’islam que je vais un jour publier. J’ai aussi adressé une lettre au Président Macron sur le sujet.

    Je tiens à souligner que le Coran n’est pas réformable. Il doit être interprété dans le cadre de la sémantique des mots. Allah – veut dire Dieu ou Le Dieu? Le « haram » absolu est-il imposé par le Coran?

    Je pourrais vous parler autant du christianisme, du bouddhisme ou de l’hindouisme.

    28. Vous semblez proche de l’islam. C’est une perception ou une réalité?

    Je reconnais l’islam comme une religion de plus de 1,8 milliard d’habitants. Il est déjà la religion la plus pratiquée dans le monde. C’est une religion universelle comme le christianisme. Mais cette dernière par son expansion et ses guerres, ont adopté toutes sortes de pratiques racistes et eugéniques.

    Dans les sociétés archaïques ou primitives, c’est l’animisme qui a cours. L’animiste croit qu’en chaque chose qu’il y a une âme analogue (similaire) à l’âme humaine. Je suis plus dans ce cadre pour affirmer que tout ce qui existe sort de la même origine. Certains pensent que cette origine est divine et qu’il existe des lois de la nature et des commandements auxquels on doit se soumettre ou obéir.

    Mais, cette origine, elle est constituée d’ondes créatrices de particules et de non-particules, comme la lumière qui est à la fois onde et particule. Je suis tout ce qui se passe en cosmologie et plus précisément la physique quantique. Je garde une grande distance avec le créationnisme ou le fixisme.

    Je tombe ensuite sur la vie. C’est-à-dire des choses qui portent la vie qui se définit par sa capacité reproductive. De quelle manière des particules de mille origines se sont rassemblées et évoluées pour créer un humain. Remarquons la similitude qui existe sur le plan génétique entre une banane, un bonobo et un humain. Extraordinaire.

    Je suis donc je pense ou je pense donc je suis, détermine notre existence. Notre essence est de maitriser notre nature et notre culture consciemment. Vider notre inconscient des pulsions destructrices et ainsi vivre. Je vis. J’organise mon droit à la vie et de vivre et c’est ainsi que je suis.

    29. Si un gouvernement quelconque vous propose le poste de Président de la République, accepteriez-vous?

    Je suis très loin de ces préoccupations électoralistes, pourvoiries et productrices de la maladie de l’hubris qui est la maladie du pouvoir.

    Un parti politique est déjà venu me voir pour me présenter son programme et me demander s’il pouvait proposer mon nom comme Président dans leur programme politique. J’ai dit non.

    En revanche, travailler au sein d’un Comité constitutionnel dans le cadre de la rédaction d’une nouvelle Constitution, cela me ferait plaisir.

    Actuellement, avec trois professeurs d’université et deux autres ex-parlementaires, nous travaillons à la rédaction d’une nouvelle Constitution.

    On ne peut prétendre changer les choses en nous prenant pour des producteurs de l’histoire. Mais comme la production de l’histoire. La production pensante qui peut pratiquer le discernement et la causalité dans ses proportions qui doivent émaner du matérialisme dialectique et qui soient nécessaire, acceptable et réalisable.

    30. Dernière question : une de vos filles milite à gauche en France. Est-ce que la boucle est bouclée? L’héritage politique ou plutôt militant est-il assuré donc au sein de la famille?

    Effectivement, ma fille ainée est engagée dans Lutte Ouvrière en France. J’aurais eu honte si elle avait joint des organisations comme La France insoumise et ses satellites.

    Elle voulait se faire médecin et lors d’une assemblée politique du PMT, je lui ai demandé publiquement de faire le droit au lieu de la médecine sur le fait que la société avait besoin de se soigner et que la justice est sa deuxième considération majeure après sa sécurité existentielle.

    Elle a travaillé, amassé son argent, pour partir pour la France faire le droit. Ses études terminées, elle a opté pour l’enseignement, et ensuite un travail qui la permet de s’engager politiquement. Elle n’est pas retournée et elle est bien dans sa peau, assumant sa liberté.

    J’ai deux autres filles dont une a une capacité analytique assez avancée et elle s’intéresse à ce qui se passe dans le monde. Nous avons souvent des conversations politiques. Mais elle déteste ce qui est parti politique, structure bureaucratique, et après sa candidature en 2014 pour confronter l’imposition de la catégorisation religieuse constitutionnelle pour être candidat, elle s’est retirée dans sa réflexion analytique sans engagement partisan.

    Quant à l’héritage politique, je le conçois comme des propositions écrites laissées par un engagé politique, sa demande pour le transfert et le nivellement de l’idéologie et de la conscience politique et du respect que les enfants doivent ressentir chez eux par rapport à ce que les parents ont fait… mais surtout ce qu’ils ont été.

    Je suis libre. Je prends mon bus. Je visite tous les lieux publics à travers la République et JAMAIS je n’ai entendu une insulte ou une remarque désobligeante à mon égard. C’est cet héritage que je lègue à mes enfants. J’en ai 31 – dont 3 génétiques et les autres adoptifs. La dernière a presque 3 ans et le premier, 51 ans.
    ---
    [1] Le sigle utilisé dans ce texte sera le PTM (Parti Travailliste Mauricien, traduction du Mauritius Labour Party).
    [2] Baie du Cap est un village dans le sud-ouest de l’île Maurice.

    [3] Traduction non officielle : L'autorité exécutive de Maurice est confiée à Sa Majesté.

    [4] Devenu ensuite, Front National Anti Sufrans.

    [5] L’interview avait été réalisée en août 2023.

    [6] L’entente entre ces trois partis n’existe plus depuis le 14 avril 2024.

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